samedi 29 octobre 2011

La taverne de la Marine


Un texte déjà ancien , un peu retravaillé pour l'occasion. Un clin d'oeil bien sûr à Patrick Modiano et les prémisses
des chroniques d'Oneiros




Je suis tombé par hasard sur cet article de Libération :
«Mort d'un collectionneur. Grégory Poliakoff, un célèbre collectionneur d'art africain est mort d'une hépatite C dans sa maison de Compiègne, où il vivait retiré depuis le milieu des années 80. C'est à la fin des années 70  qu'il fut accusé de s'être servi de ses relations au Quai d'Orsay afin d'organiser un trafic d'objets d'art en provenance de divers pays africains...».

Suivaient quelques détails  biographiques, la date et le lieu de son inhumation.

Ce nom de Poliakoff a fait ressurgir en moi, un passé que je croyais à tout jamais enfoui.
J'ai bien connu cet homme ; c'était un vieil ami de mon père, un homme d'une élégance décontractée. Eté comme hiver, il portait une veste de cuir et un pantalon de toile beige. 
En ce temps là , nous habitions une maison à pans-de-bois, pas loin de la cathédrale : «notre baraque» disait mon père, avec cette pointe d'accent faubourien qu'il affectait parfois.

Poliakoff et lui avaient grandi ensemble. Ils avaient à peine vingt cinq ans lorsqu'ils montèrent une petite affaire d'import-export, le «Comptoir Breton », spécialisé dans le commerce avec l'Afrique. C'est à cette époque que Poliakoff avait commencé à s'intéresser à l'art Africain. Il s'était peu à peu consacré à cette seule passion et avait quitté la société d'import-export en laissant mon père, seul aux commandes de l'entreprise.

Mon père ne parlait pas beaucoup de ses affaires. Les seuls indices que nous avions, mon frère et moi, était sa lecture assidue du Nouveau journal et ses coups de téléphone incessant à son associé Charlus l'Africain. Dans leur conversation, revenaient sans cesse, comme échappés de vieux livres de géographie les noms d'anciennes colonies européennes : l'Oubangui-Chari, la Côte de l'Or, le Dahomey, le Tanganyca.

Poliakoff avait quitté la Bretagne et vivait à Paris. Lorsqu'il passait nous voir, il amenait avec lui la «bande des parisiens». Me reviennent à la mémoire les yeux maquillés de kohl de Gina Chevrolet, sa petite amie de l'époque, une ex-mannequin au cheveux blonds et courts, les vestes de velours de Roger Lazareff qui tenait une rubrique gastronomique dans le journal Combat : «un poseur» disait ma mère, les moustaches tombantes d'Igor Staboulov, le chauffeur de Poliakoff, un bulgare passé à l'ouest dans les années cinquante.

La «bande des parisiens», leur présence a illuminé mes dernières années d'enfance. Nous avions table ouverte à la Taverne de la Marine. Le patron, un ami de Lazareff, un gros homme aux cheveux roux et au regard clair, nous réservait la salle du bas. Quelques amis de mon père nous rejoignaient parfois. Ma mère interrogeait Gina sur la vie parisienne, les hommes parlaient politique. Certains sujets revenaient comme des leitmotivs, des mots qui m'embarquaient dans des aventures exaltantes où Langelot combattait la Ligue Communiste et les six compagnons enquêtaient sur l'affaire des micros du Canard Enchainé. Je me souviens aussi de la démission de Chaban Delmas. "Un coup de ce salaud de Giscard" avait dit Lazareff. Mon frère et moi avions répété en rigolant : "ce salaud de Giscard, ce salaud de Giscard" sous l'oeil furieux de  ma mère.

Nous aimions regarder à travers la large baie vitrée, la place de Bretagne presque déserte. Nous observions les rares passants sur le trottoir et jouions à leur inventer une vie, nous qui n'avions pas commencé la nôtre.

C'est à la Taverne de la Marine que nous apprimes la mort de Georges Pompidou, le 2 Avril 1974 ; le patron arriva tout essoufflé et nous annonça la nouvelle. Pendant quelques secondes, le silence s'installa sur notre table et en observant le visage de chacun des convives, je sentis confusément que j'assistais ce soir là, à la fin d'une époque.

J'ai refermé le journal et payé mon café. Grégory Poliakoff : avait-il seulement existé ou n'était-il qu'un de ces passants dont j' inventais la vie?

J'étais à deux pas de la place de Bretagne. Les baigneuses colorées ont remplacé les DS noires mais la Taverne de la Marine se dresse toujours à l'angle du Quay St Cyr, telle une balise à laquelle je tente désespérément de me raccrocher.

vendredi 28 octobre 2011

Wall Street Junk Food


C’était l’automne.

Je regardais ma cigarette lentement se consumer au coin d'un vague cendrier d'aluminium tout en mastiquant méticuleusement un hamburger triple suisse. Car voyez-vous, rien de tel qu'un hamburger triple suisse quand crachin et gueule de bois se sont mis dans la tête de vous pourrir votre dimanche.

Deux individus du genre jeune ont posé leur sac à dos dans un coin de la salle et se sont installés à la table voisine. Chaque parcelle de leur corps semblait décliner un seul et même slogan: "Nous sommes les héritiers de la beat génération, petits enfants de Jack Kerouac, fils prodigues des indiens du Lubéron". Voilà ce qu'ils proclamaient haut et fort par tous les pores de leur peau dans ce sanctuaire de la bouffe multinationale. J'appréciai à sa juste mesure cette juvénile provocation lorsqu'un des deux types sortit un journal de sa poche. C'était la "Tribune ", le journal des accrocs du CAC 40, la bible des cadors de la spéculation boursière. Il s'y plongea avec l'avidité d'un énarque préparant la nouvelle loi de finance.

Je me suis tiré sur le champ. Car je vous le dis tout net : non, décidément non, les jeunes hippies néo-libéraux ne sont pas ma tasse de thé. J'ai quand même emporté mon Softy Suprême. Car voyez-vous, rien de tel qu'un Softy Suprême quand les fantômes de la finance vous ricanent à la gueule.

jeudi 27 octobre 2011

La communauté de l'égout

- Bark ! Ici … Couché !

Un terrier à la gueule décavée vint se blottir au pied d’un grand type hirsute qui mâchonnait une Boyard maïs entre ses derniers chicots.

- Qu’est-ce que tu as été foutre dans ce trou? C’est le trou du diable! J’te l’ai déjà dit, maudit cabot.

Pour appuyer sa phrase, il balança un coup de pied dans les côtes de l’animal. Le clébard laissa juste échapper un petit gémissement et baissa la tête en signe de soumission. Le grand type s’assit au bord du trottoir et jeta un coup d’œil un peu inquiet vers le trou d'égout dans lequel son chien avait passé sa maigre tête :

- Putain de cabot.

Bolo sortit silencieusement de sa cachette. A quelques dizaines de mètres, un clodo ronflait sous le porche. Tout contre lui, un chien sommeillait, les oreilles au repos. Ce chien l'inquiétait. Les terriers, et même les bâtards les plus stupides, étaient les ennemis déclarés de la communauté. Celui-là avait reniflé la planque où ils s’étaient installés. Un jour ou l’autre, il faudrait lui régler son compte. Mais pour l’instant il fallait manger. Le sac du clodo le tentait bien. Celui-là savait y faire, il avait toujours un bout de pain ou une tranche de jambon en réserve. Mais le chien veillait et il fallait mieux pour cette nuit se contenter des poubelles. Les humains avaient pris cette sale habitude de planquer leurs détritus dans de gros bacs en plastique. Heureusement dans ce quartier, ils étaient encore quelques uns à balancer leur sacs poubelles n’importe où. Les fines parois de polyéthylène ne résistaient pas longtemps à ses petites dents pointues. Que la fête commence!

Le boyau était humide et puant mais la communauté s’y sentait bien.

Au début de leur aventure, et durant quelques mois, ils avaient erré dans le dédale des égouts de la ville ; une dizaine d’enfants conduits par un adolescent d’environ dix sept ans. Ils avaient dû changer de cachette à plusieurs reprises. Certains des enfants avaient fini par se perdre. Peut-être vivaient-ils actuellement, quelque part dans un autre boyau mais Bolo en doutait. A cette époque, Tom menait la petite troupe. Il était le plus grand et le seul à pouvoir se défendre contre les rats. Bolo était persuadé que sans sa force et son adresse, aucun enfant n’aurait pu résister plus de quelques semaines.

Ca couinait de partout et ça baffrait sec. Tom se goinfrait à s’en faire péter la bedaine. Bolo observait une partie de la progéniture se disputer pour un morceau de saucisson. Katchinka les sépara d’un coup de patte. C’était sa soeur et aussi la mère des douze petits. Il ferma les yeux. Jamais il n’aurait pensé…Il y avait également ses vieux copains, Arno, Toinou et Seamus.

- "Une sacré bande de paternels" , pensa-t-il.

Tom rota et alla s’allonger dans un coin. Il était pâle. Il sortait rarement car sa taille et sa corpulence l’empêchaient de se faufiler par le trou qui débouchait directement sur le caniveau. Pour sortir, il devait remonter tout le boyau jusqu’à une petite échelle en fer qui donnait sur une lourde grille en fonte. C’était dangereux et beaucoup moins discret que le petit passage. Heureusement, Bolo et les autres n’avaient pas grandi. Dans son physique comme dans son esprit, Tom restait le dernier témoin de la vie d’avant. Il regarda tout son petit monde avec tristesse. Il s’en voulait parfois de les avoir entraînés dans cette aventure. Ses lectures lui avaient pourri l’esprit. Ces histoires de phalanstère… Il cracha par terre :

- Foutaise !

Katchinka vint se blottir contre Bolo. Elle n’aimait pas voir Tom s’énerver. Bolo sentit la main fluette de sa sœur se promener sur lui. Il se laissa faire. Les caresses se firent rapidement plus précises. Il sourit. On pouvait compter sur Katchinka pour suivre à la lettre les règles de la communauté. C’est elle qui
choisissait librement son partenaire en veillant à partager équitablement ses faveurs, comme il était écrit dans le code communautaire. Ainsi en avait décidé Tom pour le bien de tous. Et bientôt allait naître un nouveau cycle. Colline, l’aîné de leur fille allait avoir quinze ans. Elle aiderait dorénavant sa mère. Oui, Tom avait bien fait les choses, pensa Bolo, agenouillé derrière Katchinka, une nouvelle partenaire sera la bienvenue.

Dehors le jour n’allait pas tarder à se lever. Le grand type hirsute dormait encore. Son chien ronflait encore plus fort que son maitre. Bolo s’allongea contre le flanc de Katchinka. « Il faudra un jour lui régler son compte à ce sale clébard » pensa-t-il avant de s’endormir.

A l’abri dans l’obscurité de sa tanière, la petite communauté portait bien haut le drapeau de l’utopie.

L'évangile selon Sidney

C’est Jeanjean qui m’a rappelé cette histoire.

On était accoudés avec les copains au comptoir de la « Cité d’Ys » et la quatrième Coreff avait lancé la conversation. Ils parlaient Jazz. Moi j’aime pas le Jazz, à part le New Orléans. Les copains disent que le New Orléans c’est du Jazz pour ceux qu’aiment pas le Jazz. Du coup leur conversation, je m’en tapais un peu le coquillard. Y’a eu juste deux mots qui m’ont caressé les tympans : « Petite fleur ».

Petite fleur. J’ai atterri aussitôt sur l'île de Corfou . C’était les vacances. Je trainais un peu, surtout la nuit à cause de deux suédoises que j'avais rencontrées sur le camping. Et ce jour-là, j'étais plutôt de sale poil parce que les suédoises s'étaient barrées le matin même avec un groupe d'italiens. Tous ces p'tits branleurs bronzés avec leur Piaggo Liberty et leur planche freestyle commençaient à me porter sur le système.

J'avais trouvé refuge dans un Take Away en haut de la colline. Vue sur la mer imprenable, hamburger, frites et ketchup à volonté mais ça ne m'avait pas calmé. J'en étais venu à espérer qu'un raz de marée géant engloutisse tous ces connards, leur bronzage intégral et leurs lunettes Vuarnet. Bref, comme dit ma petite nièce, j'avais un peu la haine.

Pour me calmer, je suis parti me balader dans les collines. Y'avait plein de chouettes villas et un sentier plutôt raide.

L’espérance n’est jamais décue . Ca se dit, paraît-il, quelque part dans les évangiles. Je l’ai eu mon raz de marée, sous la forme d’un petit garçon qui jouait de la clarinette. « Petite fleur » justement. Je regardais ce petit garçon devant sa partition, ce petit garçon qui jouait avec tant d'application et je m'suis senti bien tout à coup.

En repensant à cela, je ne sais pas pourquoi, je me suis mis à gueuler en levant mon verre : « Et bien moi j'vais vous dire une bonne chose... ». Et là ça lui a coupé la chique au Jeanjean. J'en ai profité :
- J'vais vous dire un bonne chose les gars. Moi j'connais pas bien le jazz mais un petit garçon qui joue « petite fleur » à la clarinette, c'est une putain d'averse qui vous lave de toute cette merde.»

Et ça, ça lui en a bouché un coin au JeanJean.

mercredi 26 octobre 2011

Bar rock bordello


Les chœurs acidulés et les tambourins des Mamas et des Papas laissèrent place à la voix rauque et à la guitare torturée du Vaudou Child. Hey Joe, où vas-tu avec ce flingue à la main? Quatre garçons se donnaient des airs de Robert Mc Guinn autour du billard 8 pools. Ils portaient des chemises cachemires et des vestes à franges.
J’étais assis au fond de ce café de la rue de la soif et les regardais comme je regardais le jukebox box clinquant, appréciant la facture et la justesse des détails. C’était mon anniversaire. Pas de quoi pavoiser ni afficher le chiffre des unités. La quarantaine suffisait.

Ça et là, des groupes de jeunes gens à rouflaquettes et de jeunes filles aux cheveux longs et raides s'agglutinaient autours de tables ovoïdes aux couleurs criardes. Ils parlaient musique apparemment. Certains se risquaient à citer Andy Warhol. L'orange et le mauve dominaient. La serveuse, un clone d'Anita Pallenberg, rappliqua, le sourire en bandoulière et la mini jupe plutôt mini. Elle repartit avec la commande, ondulant des hanches et fredonnant Lady Jane. La guerre du rock anglais et du rock américain n’aurait pas lieu ici. L’ambiance était parfaite.

Dans un coin de la salle, près du comptoir, une fille se leva. Elle entama un speech sur le soutien de la jeunesse française au juste combat contre la guerre du Vietnam. Elle dénonça la politique belliciste du président Lyndon Baines Johnson. Merde. Ils avaient pas lésiné sur les moyens. Un chouette cadeau pour mon anniversaire. Une soirée de septembre 68.

La serveuse revint avec une Margarita puis s’assit à ma table. Son service se terminait. J’étais son seul client. Bien sûr. Le café était bondé mais tous ces gens étaient des figurants. Des professionnels qui n’avaient laissé échapper aucun anachronisme.

Un putain de concept que ce bar à remonter le temps. Bernard m’en avait parlé il y avait environ six mois. J'étais son premier client. J'essuyais les plâtres. Je regardais le visage transparent d'Anita Pallenberg : c'était le cadeau personnel de Bernard. Je me suis demandé un instant s'il allait développer cet aspect du projet. Le bar à remonter le temps deviendrait-il la déclinaison branchée du bar à pute. Je me dis qu'il y avait de toute façon pire manière de jouer les rats de laboratoire.

Oui, tout était pour le mieux. Même si le XXI ème siècle s'annonçait bégayant, même si nous n'avions plus rien à dire. Ou peut-être juste ceci : un putain de concept que ce bar à remonter le temps.

mardi 25 octobre 2011

Le viel homme et l'amer


Il pleuvait. Le père Gaston marchait, les mains enfoncées dans les poches de son vieux ciré vert. Un ciré un peu miteux qu'il baladait depuis des années. Il faut dire que dans ce foutu pays, ce n'était pas superflu d'avoir un morceau de tissu sur le dos pour vous empêcher de vous mouiller la couenne.
Il avançait, prenant garde aux nombreuses flaques d'eau qui lui barraient le passage. Ses godillots prenaient l'eau par les semelles et il préférait garder ses pieds au sec. Par ce temps, les chaussettes ne séchaient pas facilement et à son âge, un mauvais rhume était vite attrapé. 
Au fond de sa poche, il triturait les trois sous d'argent qu'on lui avait donné à la ville. Il était plutôt satisfait. Les temps étaient durs et les gens n'étaient guère portés sur la générosité. Mendier ne rapportait plus grand chose de nos jours . Heureusement, ce type en noir avec son grand chapeau à large bord lui avait sauvé sa matinée :
- "Pour toi Grand-Père, et fais en bon usage", avait-il murmuré.
Il lui avait glissé dans le creux de la main trois sous d'argent. Sûrement qu'il allait en faire bon usage. Des godillots neufs, un bon ciré, une bouteille de gnôle et il lui resterait encore de quoi faire un bon gueuleton.
Il pensait à tout cela lorsqu'il entendit une voix qui venait apparemment du fond de la rivière. C'était une voix de femme qui appelait :
"Au secours, je vous en supplie, sauvez-moi !"
Il s'approcha de la rive et se pencha. Il aperçut alors, brouillée par les remous, l'image d'une jeune fille blonde tout au fond de l'eau, coincée à l'intérieur d'une nasse de pêcheur.
- "Hélas Mademoiselle, je ne sais pas nager"
La jeune fille continua :
- "Monsieur, je vous en prie , sauvez-moi. Je suis la princesse Nymphéa et je suis prisonnière de cette nasse".
Le père Gaston écarquilla les yeux :
- "Nom de Dieu, c'est y pas possible ; une princesse, là, au milieu de la rivière."
Il leva la tête vers le ciel :
- "Mon Dieu, faites que je rêve pas et donnez-moi une idée pour sauver cette beauté."
Il y eut alors un coup de tonnerre dans le ciel et juste à côté de lui, apparut un petit homme chauve, aux oreilles pointues et à la peau presque transparente :
- "Monseigneur, dit le petit homme, comme s'ils s'étaient connus depuis toujours, donnez-moi un sou d'argent et j'irai délivrer la jeune fille. Je suis bon nageur et je peux rester dix bonnes minutes sous l'eau."
Le mendiant hésita. Un sou d'argent. Bon, il se passerait du gueuleton et du litre de gnôle. Il tendit le sou d'argent au petit homme. Celui-ci le prit et plongea dans la rivière. Il remonta quelques minutes plus tard. La jeune fille n'était pas avec lui. Le vieux mendiant se mit en colère :
- "Qu'as-tu fait, sale petit gnome. Je t'ai donné de l'argent et voici que tu reviens sans avoir accompli ce pourquoi tu avais été payé !".
Le petit homme baissa la tête :
- "Hélas Monseigneur, cette nasse est ensorcelée, seule la pince d'un magicien pourra en venir à bout. J'en connais un qui réside, pas très loin d'ici mais il me faudra un autre sou d'argent. "
Gaston vit ses godillots neufs s'envoler en fumée :
- "Tiens, dit-il voilà ton sou d'argent. mais fais vite".
Le petit gnome partit comme une flèche et revint presque aussi vite avec une énorme pince coupante. Il plongea dans la rivière sans perdre un instant. Le mendiant se pencha , le vit s'approcher de la nasse, en couper trois barreaux et les tordre, formant un passage assez large pour que la jeune fille puisse s'y faufiler. Mais à cet instant, un énorme brochet, surgit d'on ne sait où, barra l'entrée de la nasse. Le petit homme se planta devant lui. Ils restèrent ainsi de longues minutes face à face puis le gnome remonta à la surface :
- " Alors ?" dit le mendiant.
- "Et bien Monseigneur, la jeune fille dans la nasse est la princesse Nymphéa. Son oncle la tient prisonnière car il veut l'écarter du pouvoir. Il ne la libérera que si elle épouse un humain. Ainsi elle ne pourra jamais retourner dans son royaume. Un sou d'argent jeté dans cette eau scellera votre promesse".

Le vieux Gaston sentit son coeur s'emballer. Pour sûr qu'il allait balancer cette foutue pièce dans la rivière. De penser à ses vieilles mains se promener sur la peau fraîche de cette jeune beauté, il eut un début d'érection. Voilà qu'il redevenait le gaillard qu'il avait toujours été au fond de lui-même.

Il jeta le sou d'argent dans la rivière et au même moment le petit homme chauve disparu. A sa place se tenait l'homme en noir qui lui avait donné les trois sous d'argent. Puis, une femme sortit de l'eau. Une vieille femme à la peau ridée, dont le sourire découvrait une bouche où ne subsistait plus que quelques chicots. L'homme en noir s'inclina avec une déférence trop appuyée pour être sincère.
- "Monseigneur, dit-il d'une voix mielleuse, Je suis Ondin, le presque maitre de ces lieux et je vous présente ma nièce, la princesse Nymphéa dont vous serez bientôt l'époux."
Le vieux mendiant blêmit
- "Mais ce n'est pas la jeune fille..."
- "Si fait Monseigneur. Voyez-vous, nous ne choisissons pas l'apparence que nous prenons lorsque nous sommes hors de l'eau. Mais dans l'eau , nous pouvons transformer notre image à notre guise. Cette jeune fille que vous avez vu, c'est ce que vous autres pêcheurs humains, appelez...un appât. En réalité, ma nièce a toujours rêvé d'épouser un humain...".
- "Mais..."
-"Le sou d'argent que vous m'avez donné a scellé votre promesse. Vous devez l'honorer si vous ne voulez pas finir vos jours dans cette nasse que vous avez vu. Et là, croyez moi, personne ne viendra jamais vous délivrer."

Le père Gaston l'eut mauvaise mais il fut obligé d'épouser la princesse Nymphéa qui était aussi méchante qu'elle était laide. Il ne fut pas très heureux et n'eut évidemment jamais d'enfants. Mais depuis il ne manque jamais de rien et passe son temps au bistrot du village.

C'est d'ailleurs à un de ses collègues de boisson qu'il a raconté cette histoire. Qui me l'a racontée. 

Et moi qui n'ai jamais été jeune, et moi qui n'ai jamais croqué la vie, je me promène souvent le long de la rivière en murmurant "Vieille princesse édentée, ma soeur, ma semblable....".